Casablanca.

Ce nom de Casablanca. Il résonnait en moi subtilement, comme une sorte de lieu mythologique. Je voyais ce nom sur les documents officiels de mon père. La sonorité du nom m’impressionnait.

Casablanca.

Je n’imaginais rien de la ville. Elle n’existait pas, elle n’était qu’un nom sur un papier. Casablanca. C’était le premier dépeuplement. Celui qui fabrique des souvenirs artificiels, celui qui fantasme une ville à partir de ses syllabes : Casablanca.

Je me répétais ce nom inlassablement et à partir de lui, c’était tout un monde qui apparaissait. C’était une ville qui n’existait pas. Elle n’avait aucune géographie : au fond Casablanca ne pouvait être qu’un nom. Un nom qui avait la saveur d’un monde englouti et inatteignable.

Puis, un jour de printemps, tu m’as dit « je pars à Casablanca ». C’était le deuxième dépeuplement.

Alors Casablanca se mit à exister.

J’y étais arrivé un soir d’hiver pluvieux. Le taxi fonçait sur le boulevard Zerktouni en attaquant avec des appels de phare quiconque pouvait le ralentir dans sa course. J’y découvrais deux grandes tours. Elles n’existaient pas encore à l’époque mais étaient devenues aujourd’hui un point de repère dans la ville. Casablanca devait avoir changé. Elle avait pris différents visages tandis que les noms des rues et des quartiers avaient été modifiés. La rue d’Angers n’existait plus. Seule subsistait encore l’ancienne dénomination du quartier sur quelques documents administratifs.

Sur la pellicule, les photographies du quartier s’étaient voilées. C’était comme s’il ne restait plus rien. Un long ruban d’images blanchies. L’étrangeté des immeubles qui se répétaient, identiques et vieillissants ; les petites cours où la pelouse brûlée se mêlait à la terre battue : tout avait disparu. De ma visite, il n’y avait plus rien. C’était comme si rien n’avait eu lieu. Le lieu n’était plus rien.

C’était le dernier dépeuplement.
Comme le langage, l’image finit toujours par bégayer.